Madonna pour V magazine

Rédigé le Dimanche 31 Octobre 2021 à 11:25 | Lu 6195 fois


NOM vous propose la traduction de l'intégralité de l'interview de Madonna par Jeremy O. Harris* pour V Magazine... Madonna forever


Note du photographe

Cet essai photographique a été inspiré par une séance photos de Marilyn Monroe avec le photographe Bert Stein, intitulée « the Last sitting ». Le shooting a eu lieu à l’hôtel Bel Air en 1962 juste avant la mort de Marilyn. Ce qui était supposé être une séance de trois heures s’est terminée en un tourbillon de trois jours à travailler jours et nuits. Boire, rire, prendre des photos, les éditer, dormir et puis prendre encore plus de photos – une relation privée entre deux artistes qui n’arrive plus que rarement. Ce qui nous intéressait n’était pas de refaire ces photos à l’identique, le plus important était d’explorer la relation entre le Photographe et son sujet. À la fois l’amitié et le processus artistique, comment l’art peut imiter la vie et vice versa. Quand j’ai envoyé les photos à Madonna elle a été frappée par la fragilité incandescente de Marilyn à ce moment de sa vie. Nous avons décidé de trouver une suite dans un hôtel pour essayer de capter la liaison entre une star et la caméra, le mystère et la magie de cette collaboration créative. Nous espérons avoir rendu justice au magnifique travail de Bert Stern et Marilyn Monroe.
- Stephen Klein.

Interview par Jeremy O. Harris

J.O : L’une des premières questions que je voulais te poser concerne une citation qui ouvre le spectacle de Madame X et qui est « les artistes sont ici pour perturber la paix ».  Je voulais savoir, pour toi, où est la paix en ce moment ? Il y a une pandémie mondiale, des milliardaires qui secouent l’économie et tous les secteurs de notre monde. Penses-tu qu’il y ait encore de la paix à perturber ?

M : C’est très intéressant parce que la notion de paix est subjective. La façon dont les gens abordent la pandémie par exemple, que la vaccination soit vue comme la seule solution et le fait de systématiser l’idée que soit vous adhérez à ça soit vous êtes dans l'autre camp. Il n’y a pas de débat, il n’y a pas de discussion. C’est quelque chose que je veux bousculer. Je veux interpeller sur le fait que nous ne sommes pas encouragés à en discuter. Je pense que notre travail est de secouer le statut-quo. La censure dont on fait preuve dans notre monde en ce moment est assez effrayante. Personne n’est autorisé à dire ce qu’il pense. Personne n’est autorisé à dire ce qu’il pense vraiment des choses de peur d’être « annulé », par peur de l’effacement**. Dans la culture de l’annulation, déranger la paix est probablement un acte de trahison. Nous pourrions commencer par ça et ensuite parler de notre travail en tant qu’artistes. Le travail que tu fais est très perturbant, mais pas dans le mauvais sens du terme. Quand j’ai vu « Slave Play » Mon esprit était en ébullition pour de multiples raisons. Tu parles de choses dont nous ne sommes pas encouragés à parler. Tu traites de sujets dont on ne parle pas dans la vie quotidienne, des choses dont nous sommes pourtant supposés avoir conscience. Ça, pour moi, c’est exactement ce dont parle James Baldwin. As-tu entendu son discours sur l’intégrité d’un artiste ? C’est tellement inspirant.

J.O : Est-ce que tu l’as déjà rencontré ?

M : Non, mon dieu qu’est-ce que j’aurais aimé.

J.O. : Je pense qu’il aurait pris vraiment du bon temps avec toi.

M : Je pense que nous nous serions très bien entendus. J’ai adoré « La chambre de Giovanni » c’est comme ça que j’ai découvert qui il était. Ensuite je me suis mise à lire ses leçons, écouter ses discours, suivre son chemin dans le mouvement pour les droits civiques , et aussi ses relations avec les gens et les artistes. 

J.O. : C’est drôle que tu mentionnes la culture de l’annulation. Parce contrairement à la plupart des gens, pour moi la culture de l’annulation n’est pas une idée aussi effrayante que ça.

M : Le truc c’est que plus vous vous taisez, plus vous avez peur, Plus tout vous semble dangereux. Nous lui donnons du pouvoir en fermant notre gueule complètement.

J.O : Ma seule frustration avec l’idée de la culture d’annulation, c’est que je vois que pour beaucoup de jeunes artistes elle induit qu'il y a une bonne façon de raconter une histoire, une bonne façon de créer. Et beaucoup de ces bonnes pratiques Incluent de ne pas provoquer ou de ne pas faire de vagues avec les gens. Ce qui est dérangeant c’est que pour vraiment voir la nature des gens il faut faire des vagues. C’est exactement ce que tu as fait toute ta vie. Quand tu mets le doigt sur quelque chose qui est censée être intouchable, les gens  ressentent des choses. Et tu fais ça depuis le tout début. 

M : Depuis que j'ai mis mon doigt dans l’allume-cigares de la voiture, j'ai continué à appuyer dessus et à jouer avec. Tous les enfants le font et vos parents vous disent « ne touche pas à ça, tu vas te brûler le doigt. » Il suffit que tu me dises ça pour que je ressente le besoin de le faire. 

J.O.: Que s’est-il passé quand tu l'as touché et que tu t’es brûlé le doigt ?

M : Mon père a juste dit « voilà ce que tu récoltes ». Aucune sympathie.

J.O. : Qu’est-ce que tu as ressenti ? Est-ce que tu t’es sentie puissante d’avoir fait quelque chose d'interdit ? Où as-tu senti la brûlure ?

M : J’ai senti la brûlure. Je voulais pleurer mais j’ai serré les dents. J’ai refoulé les larmes et je me suis dit « je ne montrerai aucune souffrance. Je vais juste traverser cette épreuve. Je vais juste prouver à mon père que c’est OK de se brûler parfois. »

J.O. : À chaque fois qu’on m’appelle pour donner des cours on me demande « comment écrit-on une bonne pièce ? ou une pièce qui va intéresser les gens ? » Je réponds « je ne peux pas vous dire comment faire ça. Tout ce que je peux faire c’est vous dire d’écrire en visant l'échec. D’écrire en voyant au-delà de la montagne. Peut-être que ça ne marchera pas. Mais l''éventualité d’être brûlé est justement la raison pour laquelle on le fait.» Est-ce que tu penses que c'est ce que tu as fait avec Madame X ?

M : Alors tout d'abord, tout le monde m’a dit de ne pas le faire parce que c’était trop ambitieux. Parce qu’il y avait trop de monde sur scène. J’essayais de raconter trop d’histoires. J’essayais de partager trop de choses que j’aime dans un espace-temps trop restreint. Parce que L’investissement allait être tellement gros, et dans un théâtre qui ne contient que 1000 - 2 000 personnes chaque soir, je rentrerais difficilement dans mes frais au bout du compte, spécialement avec les règles syndicales. Si j’étais une demi-heure en retard et même quand nous étions en pleine répétition du show... Je ne savais pas mais les règles syndicales du théâtre sont complètement dingues et leurs horaires réglementaires sont 9h - 17h. J'ai demandé "mais qui travaille à ces heures là ? Pourrait-on changer les horaires de 16 h à minuit ? " Car ça correspond plus à notre mentalité quand nous travaillons, quand nous sommes en vie. Ils ont refusé. Donc tout ce qui se passe après 17 heures est considéré comme heures supplémentaires. Alors imagine les factures que j’ai dû payer uniquement pendant les répétitions parce que nous répétitions chaque soir jusqu’à 3h du matin. Nous devions le faire et nous n’étions toujours pas prêts quand ça a commencé. J’ai débuté avec 16 personnes, et puis j’ai décidé d’en emmener 36 ! « Je ne peux pas avoir seulement huit Batukadeiras ! » Celles que j’ai réussi à emmener représentent seulement la moitié du groupe. Je devais emmener aussi tous les musiciens du Portugal. Et puis j’avais aussi tous les danseurs. J’étais excessive parce que j’avais besoin de tous ces gens pour raconter mon histoire. À la porte du théâtre, mon manager m’a dit « ça va être une catastrophe pour toi parce que tu ne feras pas d’argent » et bien sûr il m’a demandé « pourquoi tu te tues au travail ? Tu n’as pas besoin de travailler aussi dur. Personne ne travaille aussi dur. Si tu fais seulement le quart de ce que tu fais aujourd'hui ce sera toujours plus que n’importe qui d’autre » et j’ai répondu « ouais mais ce n’est pas comme ça que je travaille. » Chaque partie du show devait être la plus incroyable possible. Même si je tombe de la falaise comme tu dis, il se peut que ça ne marche pas. Mais comment peux-tu le savoir tant que tu n’as pas essayé ? Et certaines choses n’ont pas marché au début et nous nous en sommes débarrassé. Mais c’est la beauté du théâtre, le fait que tu puisses essayer des choses face au public. Avoir une discussion avec le public alors qu'il ne peut pas te voir, pour moi c'est tracer vers l’échec. Personne ne pouvait voir mon visage à ce moment là, ils pouvaient seulement me voir en train de changer mes chaussures. J'ai pensé que ça c’était assez risqué. Mais j’ai adoré le faire. 

J.O. : Il y a une phrase que tu as dite à laquelle j’ai beaucoup pensé : « la chose la plus radicale que j’ai faite c'est d'être toujours là. » Et quand j’entends ça, je me demande est-ce vraiment la chose la plus radicale que tu pouvais faire ? Ou est-ce que ça aurait été vraiment radical si tu avais juste disparue et que tu n’étais jamais revenue après Ray Of Light ?

M : Tu veux dire mourir comme tous les autres ?

J.O. Eh bien non pas mourir mais juste te cacher comme JD Salinger dans une forêt, dans les bois.

M : Ça aurait pu mais je ne voulais pas me lancer dans la médecine homéopathique dans les bois comme l'a fait JD Salinger.

J.O. : Pour toi se produire sur scène équivaut à échouer, travailler jusqu’à la mort, quelque chose qui semble profondément radical. Parce que à part Yvonne Rainer et Martha Graham je n’ai en tête aucune autre femme qui a continué à se produire sur scène après 60 ans. Et même ces femmes n’ont pas atteint sur scène le niveau que tu proposes. Est-ce que ça te fait peur ?

M : Pour être honnête je ne pense jamais à mon âge. Je continue d’avancer. Même quand quand je suis à l’agonie pendant toute la tournée : je n’avais plus de cartilage sur ma hanche droite, et tout le monde n'arrêtait pas de me dire « tu dois t’arrêter, tu dois t’arrêter » je répondais « je n’arrêterai pas. Je continuerai jusqu’à ce que la roue tombe. » Et c’est finalement la Covid qui nous avait fermer à Paris alors qu'il nous restait encore des jours de shows et que j'aurais continué. Je me foutais de combien c’était douloureux. Mais pour revenir à ta question, je ne pense pas aux limitations du temps et à quand je devrai arrêter. J’y pense seulement quand quelqu’un de très ignorant me dit « Est-ce que vous ne pensez pas que vous avez mérité de prendre du recul, d’apprécier votre succès et toutes les choses que vous avez accomplies et de prendre votre retraite ? » Enfin pas "retraite", personne n’oserait me dire ce mot en face. Je leur réponds « Attendez une seconde. Pourquoi pensez-vous que je fasse ce que je fais ? » Pourquoi fais-tu ce que tu fais J.O ? Est-ce que tu as une date d'arrêt pour toi ?

J.O. : Je ne sais pas si j’en ai une.

M : Je pense qu’on s’arrêtera quand on n’aura plus de putains d’idées, quand on ne se sentira plus inspirés.

J.O. : Tu ne le fais pas par vanité ou pour le glamour ?

M : Je veux dire bien sûr que j’espère que je suis mignonne quand je fais ça. Je suis une personne extrêmement vaniteuse. J’ai aussi cité James Baldwin à la fin d’une de mes chansons dans l’acte III du concert de Madame X : « Nous ne sommes pas ici pour être populaires nous sommes ici pour être libres. » Et c’est une chose très libératrice de pouvoir se dire « je m’en fous je vais le faire » alors je ne pense pas à arrêter. J’aurais pu faire une tournée des stades où un « Greatest Hits tour » et faire 1 milliard de dollars.

J.O. : Tu es la musicienne avec les tournées les plus lucratives de tous les temps, homme ou femme.

M : C’est vrai. Alors j’aurais pu faire ça, mais je n’en aurais ressenti aucune joie. C’est juste que je n’aime pas l’idée de me répéter. Je n’aime pas l’idée de donner aux gens ce qu’ils veulent. Je leur donnerai un petit peu de ce qu’ils veulent, et puis je leur présenterai autre chose.

J.O. : Oui comme lorsque tu leur présentes des musiciens africains dont ils n’ont jamais entendu parler ou un  groupe entier originaire du Portugal sans qu’ils aient la moindre idée de ce à quoi ils vont assister.

M : Ouais et aussi des mouvements de danse contemporaine incroyables, à laquelle les gens ne sont plus exposés. La façon de danser que connaissent les gens aujourd’hui c’est la danse Tik ToK ou le Hip-Hop. Aucune critique sur cette autre culture, ça n’est juste pas la même chose.

J.O. : Ça c’est raréfié 

M : Ça c'est raréfié parce que ça demande des compétences, ça demande des études, des années d’études et Martha Graham a continué à danser à 70 ans passés. La première fois que je l’ai vu c’est lorsque j’étudiais dans son école. Quand je l'ai rencontré pour la première fois j'étais stupéfaite : « Oh mon Dieu mon héroïne ». La deuxième fois elle m’a invité à dîner dans sa maison. Depuis j’avais déjà rencontré le succès et je n’étais plus danseuse. C’était vraiment cool de s’asseoir à sa table et qu’elle me voit comme son égal. Ce qui est le plus important pour moi quand je fais quelque chose c’est d’apporter au monde ce que j’ai découvert, ce qui m’a inspiré. Des choses qui m’ont complètement époustouflé ou qui m’ont élevé spirituellement parlant.

J.O. : Comme lors ce que tu présentais de la danse contemporaine ou du Voguing  dans tes tournées mondiales ?

M : Oui quand j’ai vu le Voguing pour la première fois au Sound Factory je me suis dis putain c’est quoi ce truc. ?? C’était complètement barré.

J.O. : Quand tu étais assise avec Martha Graham à ce dîner de quoi avez-vous parlé d’égal à égal ?

M : Nous avons parlé de ses collaborations avec cet artiste japonais qui s’appelle Noguchi. Il a fait beaucoup de sculptures d’elle pour ses shows live. Elle avait des sculptures japonaises partout. Elle était très influencée par la culture japonaise. Et le compositeur Aaron Copland. Elle a toujours travaillé avec lui. Elle m’a parlé de ce que c’était de travailler avec ces gens, avec ces danseurs qui n’ont pas peur de prendre des risques, de détruire leur corps, de s’écorcher les genoux. Ses chorégraphies sont dingues. C’est douloureux, c’est sexuel, c’est angoissant, c'est déchirant. Nous avons parlé de l’importance de trouver des gens comme ça avec qui collaborer en tant qu’artiste. Je me suis rappelée qu’'il n'y avais pas si longtemps j'avais dû trouver une équipe, des gens qui travaillent comme moi je travaille. Nous avons parlé de ça et nous avons parlé aussi du fait qu’elle m’appelait Madame X quand on s’est vu pour la première fois.

J.O. : Parce que tes tenues étaient si provocatrices à l’école ?

M : Et bien c’était à cause de deux ou trois choses. Je suis la fille qui met son doigt dans l’allume-cigares dans la voiture. Je ne pouvais pas simplement porter un justaucorps et des collants. Et je pensais « Attendez une seconde c’est de la danse moderne. Ce n’est pas un ballet où tout le monde est très rigide et formaté. Martha Graham, à ses débuts, quand elle était jeune et qu’elle tournait à travers les États-Unis, c'est elle qui a jeté les corsets et les chaussons à pointes et les filles dansaient sur scène sans soutien-gorge avec leurs seins qui se balançaient. Et c’était considéré comme très sexuel et controversé. Je me disais comment à t-elle pu être cette personne et être aussi stricte sur la façon dont on doit s’habiller pendant son cours. » Alors j’ai décidé de pousser les limites. J'ai coupé mon justaucorps sur le devant jusqu'à mon pubis, puis je l'ai attaché derrière mon dos avec de minuscules épingles à nourrice dorées et j'ai attiré son attention.  Il y avait aussi le fait que je devais faire de l’argent en parallèle des cours, si tu es danseuse contemporaine, tu ne fais pas d’argent. Par exemple j'allais dans les salons de coiffure et je laissais les gens s’entraîner sur mes cheveux, tu sais, les coiffer puis en retirer la moitié et me raser un côté de la tête. J’arrivais toujours en classe en étant une partie de l’expérimentation de quelqu’un.

J.O. : ça c'est Madame X

M : Elle n'arrêtait pas de me regarder. Parfois, elle ouvrait la porte de son bureau à la volée et regardait passer les étudiants. Et parfois, elle passait la tête par la porte de la classe. Pour elle chaque fois qu'elle me voyait, j'avais un look différent alors quand j'ai été appelé dans son bureau, elle m'a dit: «Je ne te reconnais pas. Chaque fois que je te vois, tu es comme une espionne." J'ai pensé: "C'est cool." Donc sans le vouloir, j'étais déjà en train de travailler cette idée de créer des personnages, l'idée que nous pouvons incarner tant de personnalités différentes et c'est toujours de l'art et c'est toujours du théâtre et c'est toujours de la narration. C'est de ça dont je te parlais. Pourquoi faisons-nous ce que nous faisons ? Et je pense que c'est ce que James Baldwin dit quand il dit que nous sommes tous des poètes, que nous sommes tous des conteurs, mais comment racontons-nous nos histoires ? Nous les racontons à travers la musique, à travers la danse. Nous les disons avec nos mots, que nous écrivions un scénario ou une pièce de théâtre, nous les racontons avec les beaux-arts. En tant que parents nous pouvons aussi être des conteurs. Les gens doivent arrêter de penser avec un esprit aussi étriqué. Quand je dis : « Madame X est institutrice, religieuse, femme au foyer », je veux dire qu'il y a une place pour la poésie dans toutes ces choses.

JOH : Y a-t-il eu des choses que tu as vues ou entendues récemment qui t'ont plu ?

M : Je veux dire, la seule chose que j'ai entendue récemment qui m'a inspiré est l'album Donda de Kanye (West). Il y a très peu d'artistes qui travaillent à l'échec. Et j'ai l'impression qu'il en est.

JOH: Il contemple un abîme en ce moment.

M : Totalement. Je ne peux pas dire que je suis d'accord avec toute sa politique et la façon dont il considère les femmes, ou sa vision des célibataires qui ont des relations sexuelles, ou de la communauté gay. Mais son travail est sur le fil du rasoir, c'est inspirant et c'est rare. Tout le monde a attendu si longtemps que son disque sorte et finalement quand il est sorti, tout le monde en sortait un aussi mais il a réussi à se démarquer.

J.O. : Oui. Mais ça ne t'a rien fait qu'il ait même invité DaBaby?

M : J'étais partagée à ce sujet, mais, comme je l'ai dit, on doit faire attention au message, pas au messager. C'est important. Écoutez les enseignements. Ne vous laissez pas distraire par l'enseignant, par ce que l'enseignant fait. Je veux dire, si vous voulez disséquer le personnage, regardez comment Martin Luther King a vécu sa vie. Vous savez, c'était un chrétien qui craignait Dieu et qui prêchait la morale, les valeurs et la famille. Mais il avait des maîtresses partout. Il n'était certainement pas à la hauteur de l'image qu'il voulait montrer de lui-même, mais cela enlève-t-il quoi que ce soit à ce qu'il a fait pour le monde et comment il a sacrifié sa vie et comment il était prêt à travailler jusqu'à l'échec, l'échec ultime, qui est la mort par assassinat ? Non. Et, et je suis vraiment dégoûté par... tu as vu le documentaire qui vient de sortir sur lui ? Cela s'appelle MLK/FBI. J. Edgar Hoover, et même les Kennedy, en avaient finalement après son cul, ils essaient de le rabaisser en le présentant comme un communiste et un coureur de jupons. Ils l'ont enregistré partout et ces bandes vont sortir dans sept ans... Je ne veux pas les entendre.

JOH : Ouais. Cinq films et émissions de télévision vont sortir sur ces bandes...
Quelque chose que je trouve vraiment mignon, c'est ton petit ami, que je trouve magnifique. Il m'a coupé le souffle la fois où nous avons dîné ensemble. Je me demandais ce que tu avais ressenti en le voyant mourir dans la séquence d'ouverture du Madame X Tour ?

M : Et bien, c'est ce qui m'a fait tomber amoureuse de lui : son engagement dans ce qu'il fait. Et aussi le fait qu'il incarnait et personnifiait à la fois Malcolm X et l'écriture de James Baldwin. Et j'ai adoré ça. Il est mort avant que je monte sur scène tous les soirs. Il y avait quelque chose de très poétique là-dedans.

J.O. : Quand je vois ça, je me dis : « Wow elle y va vraiment » et je fais aussi quelque chose de similaire sur scène. La scène d'ouverture de ton show, tout comme dans ma pièce, est un événement théâtral. L'image d'ouverture est tellement pondérée, tellement historicisée qu'elle donne d'emblée  la tonalité sur laquelle le spectacle devra flirter jusqu'à la fin...

M : Suivez le mouvement pour le contrôle des armes à feu ou le « Contrôle de Dieu ». Oui.

JOH : Étais-tu inquiète à ce sujet ? Par combien de gammes es tu passé pour arriver à la version que nous voyons maintenant ?

M : Nous avons répété pendant 10 semaines. Les costumes ont joué un grand rôle, les projections vidéo, les Batukadeiras sur les marches habillés comme les esclaves à l'époque d'Antebellum, juxtaposés aux manifestations Black Lives Matter dans la rue. Tout était tellement lourd de sens qu'on devait continuer sur cette voie. Et je ne manquais pas d'idées. Puis je suis passé à la religion pour défier l'église, avec "Dark Ballet". Et puis défier la sexualité avec « Human Nature ». Avec ces doigts qui me mettaient dans un cercle sur scène, ce trou dans lequel on me confinait. Et puis j'amenais mes filles de huit ans sur scène pour chanter : "Je ne suis pas ta garce" - c'était tellement stupide. "J'ai dû faire un chèque avec ma bouche que mon cul pourrait encaisser". Tu me comprends ?

J.O. : Je te comprends parfaitement J'aime l'idée que tu aies amené tes filles sur scène. J'aime le fait que tu aies le diplôme du "meilleur papa de tous les temps" ici sur ton bureau. Quand j'ai vu Madame X pour la première fois c'était après avoir dîné chez vous et rencontré tous tes enfants, ce qui a été un moment tellement incroyable pour moi. Car il est très facile de comprendre Madonna en tant que pop star. Il est facile de comprendre Madonna en tant que figure controversée, mais il est difficile de comprendre Madonna en tant que mère. Je pense aussi qu'il est encore plus difficile de comprendre Madonna en tant que mère d'enfants noirs. Parce que l'adoption trans-raciale est quelque chose que les gens ne comprennent toujours pas vraiment. Quelque chose dont on ne parle pas vraiment. Et je me suis senti tellement honoré de pouvoir voir quelle mère tu es pour tes enfants, pour tes enfants noirs et à quel point la culture et sa célébration fait partie intégrante de votre foyer.

M : Je pense que lorsque vous commencez votre vie avec une très grosse gifle, vous avez une vision différente du monde. Les gifles vont arriver de toute façon à tout le monde. Tout le monde va se faire gifler. Et probablement plusieurs fois, surtout si vous êtes un artiste qui travaille avec l'échec, parce que c'est la nature du jeu. Se relever, tomber, puis se relever. Il y a une ligne dans le script de ma vie, c'est quand ma mère meurt, je me relève et je continue. Et quand tous mes amis sont morts du sida, je me relève et je continue, Basquiat meurt, et je me relève et je continue. Cet inconnu me viole avec un couteau sous la gorge. Je me relève et je continue. Mon ex-mari me trahit. Je me relève et je continue. Mon frère me trahit, je me relève et je continue. Soit vous avez cette mentalité à vous relever et à continuer, soit vous restez assis en ayant toujours en tête ce que les gens pensent de vous. Les défis que j'ai eu, depuis que je suis enfant, sont les choses qui me font réaliser à quel point la vie est précieuse et me pencher et embrasser les lèvres de ma mère dans un cercueil, m'a fait réaliser qu'en un clin d'œil, tout pourrait changer. Je ne perds pas une seconde et j'emmerde tous ceux qui essaieraient de m'en empêcher !

Interview en anglais par ici

* Jeremy O. Harris est un dramaturge, acteur et philanthrope américain, connu pour ses pièces "Daddy" et "Slave Play". Madonna et lui sont amis et partagent un but commun : celui de nous faire voir le monde sous un autre angle. L'interview a été réalisée à Los Angeles en septembre dernier.

** La "cancel culture" (de l'anglais cancel, « annuler »), aussi appelé en français "culture de l'effacement" ou "culture de l'annulation", est une pratique apparue aux États-Unis. Elle consiste à dénoncer publiquement quelqu'un, ou une organisation, responsable d'actes, de comportements ou de propos perçus comme inadmissibles en vue de son bannissement social.


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